Interview de Mathilde Hutzler, interne en dernière année de médecine générale, qui a étudié les violences médicales lors de sa thèse.

Interview de Mathilde Hutzler, interne en dernière année de médecine générale, qui a étudié les violences médicales lors de sa thèse.

 

Tout d'abord, pourquoi ce sujet de thèse ? Comment as-tu eu l'idée de traiter de ce sujet ?

 

En fin d’externat, j’ai eu des « déclics » sur la question des violences médicales. Je me suis retrouvée confrontée à plusieurs témoignages de violences de médecins. Déjà par l’essai « Les brutes en blancs », qui m’a beaucoup marqué. Et puis ma compagne m’a décrit plusieurs violences dont elle a été victime lors de son parcours médical… Face à ces réalités, j’ai d’abord eu une sorte de réflexe de rejet, du type : « non, c’est pas possible, c’est une exception, non on fait pas ça, c’est pas ça la médecine… »

Que des témoignages, des vécus, me heurtent autant m’a interrogé. Pourquoi le ressenti violent de personnes m’impactait autant ? Alors que j’avais pourtant l’habitude d’accueillir des souffrances… Et puis, je me suis rendue compte que ces actions et ces postures que je trouvais inacceptables, n’étaient ni exceptionnelles, ni des anomalies. Et surtout que ces violences n’étaient pas la production de quelques personnes « monstrueuses », psychopathes ou sadiques. Que beaucoup de soignant.e.s finalement perpétuaient des violences sur les patient.e.s. Que moi aussi je pouvais en produire. Que moi aussi j’en avais produit ?!

Tout ça, vous vous en doutez c’est difficile à intégrer. Et au moment de commencer mon internat, j’avais très peur. Pas tant à l’idée de « tuer mes patient.e.s » que d’être violente envers eux. De rajouter à la souffrance de leur état, une souffrance due à moi seule et qui aurait pu être évitée.

Travailler sur la question des violences médicales s’est donc imposé à moi, d’abord comme une nécessité. J’avais besoin de conjurer ma peur d’être violente. Je voulais trouver une solution pour ne pas risquer de m’éloigner de ma volonté de prendre soin des patient.e.s. Et puis sur un plan plus intellectuel, je voulais comprendre ce qui se passait. Comment cette violence était possible, alors qu’à priori quand on fait médecine, on a plutôt envie d’aider les gens, de les soulager plutôt que de les faire souffrir.

Bref, j’avais plein d’idées, plein de questions, et la thèse m’a semblé être la meilleure manière de les explorer.

 

Quel était l'objectif principal de cette étude ?

 

A vrai dire, l’objectif a pas mal évolué au fur et à mesure de l’étude du sujet. Comme je l’ai dit, je m’intéressais beaucoup à la genèse et aux mécanismes qui sous-tendent ces violences. Qu’est ce qui permet que la violence s’insinue ainsi dans la pratique médicale ?

Mais lors de la bibliographie et des échanges avec le comité d’éthique, je me suis rendue compte que la dénomination de « violence médicale » et même l’existence de violences étaient questionnées bien plus que je ne le pensais. En plus de ne pas avoir de définition précise, il n’y avait ni article, ni recherche institutionnelle qui évoquait l’idée que la violence pouvait venir de médecins quels qu’ils soient, généralistes par exemple. Les « violences gynéco-obstétricales » étaient décrites avant tout comme des violences sexistes. Et les « maltraitances » faisaient plutôt état de la violence de l’hôpital, de l’institution médicale sur ses soignant.e.s et donc, par ricochet, sur les patient.e.s.

L’objectif de la recherche est donc devenu celui de détailler ce que les médecins généralistes perçoivent de cette violence. S’ils pensent y avoir une place ou le rôle qu’ils peuvent y jouer. A travers les conceptions de médecins généralistes, comprendre ce qui se joue dans la violence subie par des patient.e.s et exercée par les médecins généralistes.

 

Peux-tu décrire en quelques mots l'étude, la méthodologie (questionnaire envoyé par mail, ou en face à face etc) ?

 

Alors on a réalisé une étude qualitative inspirée de la méthode par théorisation ancrée. Pour simplifier on peut l’opposer à la méthode quantitative. Dans le quantitatif, on a déjà une hypothèse, et l’étude consiste à récolter des données statistiques pour la confirmer ou l’infirmer. C’est un travail qu’on appelle déductif. Ici, on a effectué un travail inductif : on a récolté des données diverses et plurielles autour du sujet, et à partir de celles-ci on a construit nos hypothèses. Et pour finir on a intégré ces hypothèses dans un modèle explicatif.

C’est une analyse qui prend du temps et qui demande d’arriver à prendre du recul sur soi même et ses propres opinions. C’est pour ça que dès le début j’ai questionné mes certitudes et mes présupposés, afin d’être consciente de mes propres biais.

Une fois ce premier travail réalisé, j’ai pu aller récolter les données auprès des médecins généralistes. Cela s’est fait sous forme de dix entretiens individuels (9 en présentiel et 1 en visio).

 

Quelles étaient les questions posées aux médecins interrogés ?

 

Ce n’était jamais exactement les mêmes questions, je suivais un guide d’entretien semi dirigé qui a évolué au fur et à mesure de la recherche. L’objectif était de leur laisser le plus large champ possible pour détailler leurs conceptions autour de ce sujet. L’idée du guide d’entretien est d’amener progressivement les participants à parler de ce qui nous intéresse de la manière la plus naturelle possible. Par exemple, j’ai pu commencer par évoquer avec eux la violence que les médecins subissent, leur vécu des patient.e.s dits « difficiles », ou encore leur conception de ce que serait un médecin idéal. Quand aux questions de fin d’entretien, elles visaient à questionner le.a médecin sur ses possibles propre violences et comment iel les comprenait.

 

As-tu eu des obstacles dans l'élaboration de cette thèse, notamment en termes d'acception du terme "violence médicale" ?

 

Oui ! La rédaction des guides d’entretien a d’ailleurs été un vrai petit casse-tête. On avait peur que les médecins se sentent attaqués et se ferment à la simple évocation du mot « violence ». Pour savoir comment aborder la question avec les médecins on a réalisé des entretiens préliminaires avec des personnes expertes de ces questions : un médecin, une socio-anthropologue, et une patiente. Ces entretiens nous ont donné des pistes pour aborder la question sans heurter les médecins. Nous avions donc décidé d’aborder la question par les violences que les médecins ressentaient subir.

Cependant, le comité d’éthique du CNGE (Collège National des Généralistes Enseignants) nous a fait comme retour que le terme de « violence » risquait d’être trop violent justement, à recevoir pour les médecins. De plus, le terme de « violence médicale » n’est pas clairement défini dans la littérature institutionnelle. Cette dénomination provenant surtout de la littérature grise et des témoignages de patient.e.s, la légitimité de son utilisation a donc été beaucoup questionnée au cours de la recherche.

 

Comment ont réagi globalement les médecins interrogés ?

 

Malgré nos inquiétudes, tout s’est très bien passé ! Aucun ne s’est senti attaqué personnellement, et les entretiens ont été très riches. Dans l’ensemble je dirai qu’il y a deux grands types de réaction face aux questions les plus « touchy », soit les médecins avaient déjà réfléchi à ces questions et livraient une analyse de la violence qu’ils pensaient exercer. Soit ces questions leurs étaient étrangères, tant, qu’ils n’envisageaient pas que je puisse parler de leur propre violence. Pour ceux là, la perception de violence des patient.e.s est davantage liée à des malentendus ou des maladresses, qu’une « vraie » violence.

 

Étaient iels réticent.es à répondre au questionnaire ? As tu eu beaucoup de refus ?

 

J’avoue que je ne les ai pas tous comptés, mais oui beaucoup plus de refus que d’entretiens effectifs. J’ai démarché un grand nombre de médecins de façon assez multiple, j’ai fait du porte à porte, appelé les secrétariats, envoyé des mails… Après ils ont surtout évoqué leur manque de temps plutôt qu’un rejet de mon sujet. D’autant que j’avais présenté ma thèse comme une réflexion sur les violences ou sur les relations patient.e.s soignant.e.s, sans entrer dans le détail et sans utiliser le terme de « violence médicale ».

 

Peux tu nous résumer les principaux résultats de l'étude ?

 

Les résultats s’articulent autour de trois grands axes, la possibilité d’utiliser le terme de « violences médicales », les mécanismes de ces violences et pour finir, les solutions face à celles-ci.

Pour commencer, notre analyse encourage véritablement à utiliser le terme de violences médicales. D’une part pour légitimer le vécu des patient.e.s, et d’autre part pour interpeller et sensibiliser les soignant.e.s à cette question. La pertinence de cette dénomination a été validée notamment devant la conception des médecins que : la définition de ce qu’était une violence, appartenait aux personnes en ayant subie. Et le terme de violences médicales ayant justement émergé par les témoignages de patient.e.s, il semble donc bien à propos d'en user.

Sur la question des mécanismes, on a pu observer de multiples interactions qui peuvent mener à la violence et qui sont très interconnectés. Il y a la question des études qui formatent les médecins autour d’habitudes et d’automatismes. La question de l’épuisement du médecin aussi, très liée aux conditions de travail et aux pressions subies. Mais avant tout, c’est la question de la domination qui est centrale. Tout d’abord, la relation patient.e-soignant.e est asymétrique, avec un.e patient.e qui se trouve dans une situation particulièrement vulnérable, en demande face à un médecin « sachant » et possédant plusieurs privilèges. En effet, les études médicales et la société transforment l’étudiant.e en médecine en un agent dominant qui a droit de faire des ordonnances, toucher le corps des gens, poser des questions intimes... A ces données s’ajoutent les dominations persistantes dans la société : sexisme, racisme, LGBTphobie, validisme, psychophobie, grossophobie, classisme et cætera ; le médecin n’est pas hors de la société et porte aussi ces discriminations dans sa pratique. Cela a été noté par les médecins interrogés qui toustes pressentaient que les violences médicales s’exerçaient particulièrement sur les patient.e.s les plus minorisé.e.s, mais également plusieurs articles témoignent de ces biais discriminatoires très implantés dans nos pratiques. Pour conclure sur la question de la domination qui engendre la violence, il faut revenir sur le fait que le.a médecin subit de nombreuses pressions dans son exercice de par la société, la démographie des patient.e.s trop importante et les patient.e.s, notamment lorsqu’ils sont considérés comme “difficiles”. Ces différentes pressions insécurisent le médecin, qui plutôt que d’accepter sa vulnérabilité ou sa non-omniscience, va être violent devant la peur de perdre sa domination. Parfois il y a même un risque de rejeter la faute sur le.a patient.e qui est “trop compliqué” ou qui “met en échec la prise en charge”, ce qui s’ajoute encore à la violence subie.

Et pour finir, on voit que les conséquences de cette violence ne sont pas uniquement négatives, elles peuvent entraîner de la souffrance et un renforcement de certains comportements observés par les étudiants ; mais elle peut aussi mener à l’indignation, et donc au témoignage de ces violences par des soignant.e.s et surtout par les patient.e.s. Le témoignage est un des outils les plus puissants à mobiliser face à la violence. Comme je l’ai dit la violence n’est pas forcément conscientisée par les médecins qui l’exercent, et le témoignage à ce pouvoir de la rendre visible. Et quand le médecin arrive à prendre conscience que cette violence médicale existe, c’est cette fois un cercle vertueux qui s’enclenche. La prise de conscience permet une remise en question, une réflexivité sur sa pratique et le fait d’en discuter aussi éventuellement avec d’autres médecins. Ce sont les clefs qui permettent de mener à une amélioration des pratiques. Cette capacité à revenir sur sa manière d’exercer va nous permettre de mobiliser les compétences professionnelles nécessaires pour être bientraitant. En effet, pour lutter contre les violences les médecins ont évoqué de nombreux points : être attentif, prendre son temps, expliquer, respecter, demander le consentement etc. Il y a bien sûr la compétence communicationnelle qui est au premier plan, mais je parlerais de manière plus large de professionnalisme. On voit d’ailleurs qu’on nous parle de ces compétences dans l’internat de médecine générale.

 

En pratique, aurais-tu des conseils à donner aux médecins et futur.es médecins ?

 

Alors déjà prendre soin de soi. Même avec les meilleures intentions du monde, quand on va mal il y a beaucoup plus de risque de faire subir de la violence aux patient.e.s. Et puis ensuite je dirai de rester curieux, continuer à se poser des questions, continuer à se former, à échanger avec des collègues... Cette exigence est difficile à maintenir tout au long de son exercice ; mais je ne vois pas d’autres moyens pour continuer à être réflexif sur sa pratique et se remettre en question que de s’exposer à d’autres connaissances que sa propre expérience.

 

La formation pourrait elle être améliorée ?

 

Comme je l’ai dit juste avant, les départements de médecine générale commencent à s’approprier la question des compétences professionnelles et du professionnalisme. C’est malheureusement tardivement dans notre cursus, mais on nous encourage à faire preuve de réflexivité, se remettre en question et remettre en question nos chefs. Et puis il y a le fait de faire appel à des patient.e.s partenaires pour les modules de communication qui permet de considérer leurs témoignages et leurs compétences comme légitimes. Tout ça participe à un meilleur apprentissage que celui délivré lors de l’externat, mais je ne suis pas sûre que cela suffise à remettre en cause nos automatismes et nos réflexes. De façon plus générale, et à tous les niveaux de notre apprentissage, je pense que là où on gagnerait le plus, c’est à changer la perception de nos erreurs. Les erreurs, surtout en médecine où la vie des gens est en jeu, c’est souvent considéré comme inacceptable. Cependant on le sait maintenant, les erreurs, c’est avant tout une manière d’apprendre et de s’améliorer. Pourtant pendant toutes nos études (en tous cas c’est mon ressenti), chacune de nos erreurs menait à notre humiliation par nos chefs. Je me souviens avoir été terrorisée, dès mon premier stage, à l’idée de mal faire ou faire des erreurs parce qu’à chaque fois je me faisais engueuler, et méchamment... En plus, ça se transforme facilement en cercle vicieux, on a peur de se faire engueuler donc on ne dit pas son erreur et ça peut avoir des conséquences encore plus graves ! Et puis la hiérarchie à l’hôpital étant particulièrement prégnante, on n'arrive pas non plus à dire à un chef qu’il a pu faire une erreur... Tout ça, c’est lié à l’insécurité et la peur de perdre sa domination dont je parlais plus tôt, mais aussi à la pression des responsabilités que l’on porte en tant que médecin.

Donc effectivement, envisager ses erreurs comme des opportunités pour s’améliorer ça permettrait d’avancer sur beaucoup de sujets je pense. Alors bien sur ça ne va pas se faire en claquant des doigts et c’est un processus lent, mais travailler sur cette question pourrait être très prometteur.

 

As-tu eu des témoignages de patient.e.s à propos de ces violences médicales ?

 

Oui, c’est d’ailleurs des témoignages des patient.e.s dont on est partis pour ce travail. Comme je le disais le terme de “violence médicale” c’est avant tout un mot utilisé par les patient.e.s ! Dans cette étude j’ai décidé de m’attarder sur la conception des médecins sur la question, mais je n’ai pas pour autant négligé le point de vue des patient.e.s. L’entretien préliminaire avec la patiente partenaire a été particulièrement éclairant, aussi quand j’y suis revenue après les entretiens des médecins. Elle avait préfiguré que la violence des médecins était liée au fait qu’ils se sentaient remis en cause, dans leurs connaissances ou leurs compétences. J’ai lu bien sûr d’autres témoignages mais ils n’ont pas bénéficié d’une analyse complète. Cela pourrait être d’ailleurs très intéressant de réaliser en miroir de mon analyse, une recherche s’intéressant cette fois à la perception des patient.e.s.

 

Comment vois tu la pratique future de la médecine ?

 

Alors ça va dépendre de si j’adopte un point de vue pessimiste ou optimiste sur la question. Dans l’avenir proche, avec la pénurie de médecins face à la pression démographique je sens que ça va être très difficile d’exercer sereinement avec une pratique de qualité... D’autant que j’ai peur que la santé devienne bientôt un luxe pour beaucoup plus de personnes au vu de la pauvreté qui augmente et des volontés politiques actuelles. Mais d’un autre côté, je vois énormément d’opportunités pour qu’une médecine plus inclusive et bienveillante prenne place. Déjà, il y a la question générationnelle, je crois qu’on a grandi avec moins de biais racistes, sexistes et LGBTphobes etc que nos aînés, même si bien sûr ça prend du temps et des concepts aussi terribles que le “syndrome méditerranéen” persistent. Mais je crois qu’on est vraiment en voie d’amélioration sur ce plan. Et puis, l’avancée des connaissances médicales et de nos compétences informatiques changent la donne, pour l’exercice de la médecine mais aussi pour son apprentissage. Aujourd’hui, on a plus besoin d’être un annuaire ambulant et de connaître tout par cœur. De toute façon, on ne le pourrait pas, les connaissances explosent, et on ne pourra jamais tout savoir. Les compétences importantes en médecine ce sera du coup de savoir analyser ses propres connaissances, de rechercher celles qui nous manquent le moment venu, et surtout du coup de savoir être médecin, savoir parler aux patient.e.s... Et j’espère que ce sera intégré par les études de santé, pour que la sélection se fasse autrement et qu’on ait un apprentissage davantage attentif au vécu des patient.e.s. D’ailleurs le.a patient.e aussi est plus informé, le médecin n’est plus le seul détenteur du savoir avec l’accès généralisé à internet. Je sais que certains médecins voient ça d’un mauvais œil, je pense que c’est lié encore une fois au besoin de contrôle et de garder son statut de “sachant”. Mais si on arrive à intégrer dans nos modèles que le.a patient.e peut nous apporter des connaissances et être moteur dans sa prise en charge, ben je pense qu’on aura tout gagné. Et on aura la possibilité que la médecine s’améliore, que ce soit sur la prise en charge formelle ou sur les questions de violences.

 

Y a-t-il des moyens de faire des recherches à plus large échelle selon toi?

 

Alors là on est vraiment au tout début de l’étude de la question donc c’est difficile à dire, mais en tous cas la possibilité est là. Maintenant que le terme de violence médicale est légitimé ce sera peut-être aussi plus facile de se lancer dans des nouveaux projets. Je pense qu’en médecine générale en tous cas ça commence à être une véritable préoccupation. En tous cas cette question pourrait être explorée pour les autres spécialités, les autres formes de pratiques ou même chez d’autres métiers médicaux ou paramédicaux.

 

Y a-t-il des pays où la recherche est plus avancée?

 

Je n’en ai pas eu l’impression quand j’ai réalisé ma bibliographie en tous cas. Mais ne parlant pas un Anglais impeccable, je suis peut-être passée à côté de certaines études ou initiatives. Après il faut aussi prendre en compte les différentes structures d’organisations qui existent selon les pays et qui modifient certainement quelque peu les mécanismes que nous avons observés.

 

Des questions te paraissent elles prioritaires à étudier sur ce sujet ?

 

Prioritaires je ne sais pas, mais en tous cas il y a plein de pistes pour poursuivre la recherche. La conception du côté des patient.e.s, les possibles variantes selon les modes d’exercices, ou la perception de ces erreurs comme je l’ai évoqué plus tôt. Mais de mon côté, j’ai envie de poursuivre l’exploration du sujet en faisant un lien avec le concept de confraternité. Celui-ci a été évoqué par quelques-uns des participants à ma thèse comme un obstacle à la prise en compte des violences. J’ai la sensation qu’il y a quelque chose qui s’y joue donc j’ai bien envie de me confronter à la question.

Le SNJMG

 

Communique de presse : Une grève ? Pas celle-ci.

Une grève ? Pas celle-ci.

 

Le SNJMG ne s'associe pas à la grève du 1-2 décembre, et ce notamment à cause des revendications libérales comme l'augmentation du prix de la consultation auxquelles nous ne sommes pas favorables.

 

En revanche, nous sommes évidemment en accord avec plusieurs autres demandes, comme la diminution de la charge administrative et la volonté d'avoir une médecine plus humaine. Nous sommes donc pour une grève favorable à ces points ci.

 

Mais se concentrer sur l'augmentation du tarif de la consultation au détriment des autres revendications nous semble aller contre l'intérêt des patient-es, ainsi que l'accès aux soins pour toutes et tous puisque de  nombreuses personnes risquent de ne plus avoir les moyens d'avancer les frais pour leur santé.

 

Nous rappelons par ailleurs que le fait de vivre sous le seuil de pauvreté, ainsi que d'être pauvre en conditions de vie est un des facteurs majeurs de renoncement aux soins, ce qui ne serait qu'encore augmenté par la hausse du prix de la consultation.

 

Nous continuons à militer contre la rémunération à l'acte, et pour le développement de la coordination avec les infirmières Asalée et de Pratique Avancée, contre toute forme d'installation forcée, ainsi que contre la 4eme année de médecine générale.

Nous luttons pour l'accès aux soins pour toustes, la défense des établissements publics de santé, et de façon générale la défense des services publics de santé mis à mal depuis de trop nombreuses années, entraînant un virage vers la privatisation et l'hôpital "entreprise" contraire au principe d'offre de soins pour tout le monde. La santé étant un droit.

 

Le SNJMG

Communiqué de presse 4e année d’internat de médecine générale

Communiqué de presse

4e année d’internat de médecine générale : le SNJMG demande le retrait du projet gouvernemental.

 

Jeudi soir, Madame la Première Ministre, E.Borne en engageant la responsabilité de son gouvernement sur l’ensemble du texte de PLFSS pour 2023 a permis l’adoption de ce texte sans discussion à l’Assemblée Nationale. Dans ce texte figure l’article 23 prévoyant la mise en place d’une 4e année d’internat de Médecine Générale, en ambulatoire, de préférence en « zones sous denses ».

 

Le SNJMG a fait savoir publiquement son opposition à ce projet gouvernemental, incohérent et non préparé.

 

C’est un projet incohérent car il est officiellement motivé par des raisons pédagogiques et doit donc relever théoriquement d’une mesure réglementaire sur la formation initiale (mesure portée conjointement par le ministere de la santé et par le ministere de l’enseignement supérieur). Or, il est inclus dans un texte de loi sur le financement de la Sécurité Sociale, présenté par la Première Ministre, le ministre de la santé et les ministres en charge de l’économie et des finances. De plus, il fait partie d’un chapitre, sans rapport avec la formation médicale, intitulé : «  Renforcer l’accès aux soins ».

 

C’est un projet non préparé puisque pas la moindre piste sur les modalités pratiques de mise en application n’est abordée et qu’il n’existe aucune étude d’impact de cette réforme. La seule certitude à ce jour est que la réforme rentrera en vigueur qu’en Novembre 2026 et que cette année-là, elle empêchera l’arrivée dans les effectifs de médecins pouvant potentiellement faire des remplacements ou s’installer, d’une promotion de quelques 3500 nouveaux médecins (un comble pour une mesure censée améliorer l’offre de soins !).

 

La 4e année de médecine générale ne sera pas synonyme d'apprentissage mais bien de main d'oeuvre au rabais avec des maîtres•ses de stage trop peu nombreux pour accomplir encore des missions supplémentaires.

Côté patient-es, ce n'est pas non plus une solution pérenne, avec un-e soignant-e débutant, qui changera tous les 6 mois ou tous les ans  ne garantissant aucune qualité de suivi chez ces patient-es déjà en sur risque du fait de leur vie dans un désert médical.

 

Il s'agit non seulement de la médecine générale mais aussi de toutes les autres spécialités ! D'autres propositions de lois concernant l'exercice en "zones sous dotées" en post internat immédiat visent en effet toutes les spécialités avec exercice libéral.

 

Pour s’opposer à cette mesure, le SNJMG a déposé un préavis de grève totale et reconductible des internes à compter du dimanche 30 octobre 2022.

 

Avec ce préavis maximaliste, le SNJMG laisse les internes s’organiser localement selon les modalités qui leur apparaitront les plus adaptées à leur situation. Toutefois, afin d’assurer une cohérence dans l’action, le SNJMG propose la création d’ un comité de suivi de la mobilisation et, pour ce faire, lance un appel aux internes volontaires pour y participer (ielles peuvent contacter le syndicat à l’adresse : info@snjmg.org).

 

Dans l’attente d’une décision du retrait par le gouvernement de son projet, le SNJMG interpelle les parlementaires afin qu’ils engagent toute procédure pouvant aboutir à l’annulation de cet article du PLFSS2023.

Communiqué de presse : il y a urgence en pédiatrie !

Communiqué de presse : il y a urgence en pédiatrie !

 

La situation en pédiatrie est de plus en plus préoccupante d'années en années. L'épidémie de bronchiolites bat son plein alors que l'hiver n'est pas tout à fait arrivé. Faute de places en réanimation pédiatrique en IDF notamment, cette situation entraîne des transferts vers d'autres régions ainsi que la prise en charge d'enfants dans des réanimations adultes non habituées à ces patient-es.

 

Rappelons que les transferts sont déjà réalisés chaque année faute de places, mais cette année particulièrement, ce phénomène s'intensifie et a lieu plus tôt par rapport aux autres années.

 

Des manifestations et grèves avaient déjà eu lieu notamment en hiver 2019 avant la pandémie COVID, afin d'alerter sur la situation critique de l'hôpital public. Mais depuis, rien n'a été fait. La fuite des soignant-es s'est même accentuée. La fermeture des lits voire de services se multiplie. Chaque année est de plus en plus difficile à passer.

 

Ces transferts dans d'autres régions sont loin d'être anodins! En effet, tout transport signifie effectif et matériel réduit dans le camion du SMUR. Cela peut être un facteur supplémentaire d'instabilité et d'aggravation de l'état déjà critique. De plus, cela entraîne un éloignement de la famille fondamentale pour les soins et pour l'accompagnement de l'enfant.

 

De même, il y a des reports d'interventions chirurgicales faute de personnel, et des retards de prise en charge également dans les services de médecine.

 

Nous demandons une amélioration des conditions de travail des soignant-es, en passant notamment par une revalorisation des salaires des IDE et AS, une augmentation des moyens fournis à la pédiatrie (et à l'hôpital en général), la multiplication de campagnes de recrutement et ainsi la réouverture des lits.

 

Il y a URGENCE à agir maintenant pour les enfants, parents, et pour chacun et chacune d'entre vous. Usager-es et soignant-es sont en danger!

 

Nous soutenons pleinement cette tribune ⤵️

https://www.leparisien.fr/societe/sante/des-enfants-quotidiennement-en-danger-la-lettre-choc-a-emmanuel-macron-de-4000-soignants-en-pediatrie-21-10-2022-4FPRV44PCBDUNNNN623VYYFDCU.php

Burn out

Burn out :

Ces dernières années, on entend parler de plus en plus du burn out. Cependant, c'est souvent un fourre tout, où on met le "ras le bol" général.  Qu'en est-il donc réellement plus précisément ?

 

Qu’est ce que le burn out ?

Le burn out, aussi nommé syndrome de l’épuisement professionnel, résulte d’un stress chronique lié aux conditions de travail qu'elles soient factuelles ou perçues. Il comprend 3 dimensions :

- épuisement émotionnel qui correspond à une fatigue intarissable, un sentiment d’être vidé par le travail, être à bout, épuisé et incapacité de récupérer malgré un week-end de repos.

- dépersonnalisation qui correspond au fait de ne plus être soi-même, ne plus se reconnaître, avec un manque d’empathie, une irritabilité. 

- perte d'accomplissement personnel :  tendance à se dévaloriser (tout ce qu'on peut entreprendre ne pourra suffir à avoir une bonne image de soi), perte de sens à ce qu'on fait (conflits de valeurs, dévalorisation)

L’échelle MBI (Maslach Burnout Inventory) permet d’évaluer le burn out.

Plus il y a de dimensions atteintes, plus le burn out est sévère.

On en parle beaucoup mais est ce si fréquent ?

Les étudiant-es et soignant-es sont particulièrement touché-es par le burn out. En effet, de façon générale, tous stades de burn out confondus, on retrouve aux alentours de 67%

Selon une étude co-menée par l'ANEMF, l'ISNI et l'ISNAR-IMG sortie en octobre 2021, 2/3 des étudiant-es en santé parmi les participant-es seraient en burn out  en France avec une dégradation des résultats depuis la précédente enquête réalisée en 2017.

En population générale, on estime que ce risque est d'environ 7 % en France (2)

 

Comment peut-on le reconnaître ?

Les signes et symptômes qui doivent alerter :

– dimension émotionnelle : irritabilité, anxiété, perte d’émotion, tristesse

– dimension physique : troubles du sommeil, douleurs musculaires

– dimension cognitive : difficulté de concentration, trouble de mémoire, difficulté à prendre des décisions

– dimension comportementale : isolement social, émotionnel

– dimension motivationnelle : perte de confiance en soi, perte de motivation

Ce phénomène s’installe de façon insidieuse, raison pour laquelle il est difficile de le déceler à un stade précoce. Lorsque les collègues, patient-es le remarquent, c’est souvent que le burn out est déjà bien installé.

 

Pourquoi est ce si fréquent dans nos études/milieu professionnel ?

C'est un problème systémique, multifactoriel.

Quelles sont les conséquences du burn out ? 

Le burn out a des conséquences majeures sur le quotidien des personnes touchées. En effet, pour ne citer que quelques exemples, c’est source d’isolement social, de perte de confiance en soi, de perte d’efficacité au travail, et peut être associé à des diagnostics psychiatriques tels que la dépression, ou bien le trouble anxieux.

 

Quelles sont les aides possibles ?

- en parler à des personnes de « confiance » au sein du service ou de l’hôpital

- médecine en santé du travail

- psychologues/psychiatres de la fac, bureaux d’aide psychologique universitaires

- structures universitaires et/ou hospitalières de soutien aux étudiant-es/soignant-es

- syndicats locaux (par exemple en Ile-De-France, SIHP (syndicat des internes des hôpitaux de Paris) avec SOS internes)

- Numéro d’écoute du CNA 0800 724 900

- Numéros écoute du CNOM 0 800 288 038

- médecin traitant, psychologue/psychiatre de ville

 

Quelles sont les pistes à l’avenir ?

- La prévention est un point fondamental. Un bon accompagnement des étudiant-es dans leur parcours universitaire, dans leurs stages, un espace parole pour débriefer des situations difficiles vues à l’hôpital, les premiers décès, des limitations, des annonces de maladie ….

- La sensibilisation sur le burn out est également fondamentale pour mettre fin au tabou, ouvrir la parole, mettre fin à la dichotomie « faibles » / « forts » qui n’a pas de sens, inadapté

- Intégrer dans le cursus des cours sur l'apprentissage de la réflexivité.

- Apprentissage à désamorcer un conflit

- Réfléchir aux causes structurelles du milieu de soin et de formation en santé, afin de remédier à ces facteurs de risque

- Les temps de recherche documentaire et travaux de formation universitaire des étudiant-es doivent être intégrés dans la journée et non  être fait le soir ou le weekend.

Laisser une place aux loisirs, réduire le temps de travail…équilibre vie personnelle et professionnelle

- Développement de structures d’aide, d’écoute, gratuites.

- Lutte contre le harcèlement.

 

Sources :

  1. https://www.caducee.net/actualite-medicale/15406/burn-out-dans-la-sante-98-des-soignants-reconnaissent-avoir-deja-ressenti-les-symptomes-de-l-epuisement-professionnel.html
  2. https://www.observatoire-ocm.com/societe/chiffres-burn-out/

https://www.observatoire-ocm.com/management/burn-out-souffrance/

https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2018-1-page-13.htm

https://www.has-sante.fr/jcms/pprd_2974265/fr/burnout-reperage-et-prise-en-charge

 

Pour aller plus loin :

Quelques articles sur le burn out

- Ariel Frajerman et al, COVID-19 pandemic's impact on French Health Students: A cross-sectional study during the third wave, J Affect Disord. 2022 Aug 15;311:165-172.

- F Rolland et al, Impact of the first wave of the COVID-19 pandemic on French Health students, Encephale. 2022 Feb 4;S0013-7006(22)00035-5.

- Samuel B Harvey et al, Mental illness and suicide among physicians, Lancet. 2021 Sep 4;398(10303):920-930.

-https://theconversation.com/une-enquete-nationale-revele-letat-de-sante-mentale-preoccupant-des-etudiants-en-medecine-186007

Communiqué de presse : douleurs chroniques

Communiqué de presse : douleurs chroniques

Les douleurs chroniques touchent de nombreuses personnes et ont des conséquences majeures au quotidien. Or, cette thématique est trop peu évoquée.

On estime qu'un quart de la population mondiale souffre de douleurs.

Les femmes sont statistiquement plus touchées que les hommes avec 37% de femmes douloureuses contre 28% pour les hommes.

Ces douleurs ont des conséquences majeures sur le quotidien et à long terme et entrainent un handicap. Isolement social, et parfois à l'incompréhension des proches, retentissement professionnel avec un arrêt ou reconversion professionnelle - Conséquences financières avec une perte du revenus et de très faibles aides au handicap ou pension d'invalidité.

Les douleurs peuvent entraîner des troubles anxieux ou des troubles dépressifs.

L'évaluation de la douleur est complexe puisque sujette à de nombreux biais.

Il n’est pas rare d’avoir une minimisation par les patient-es ou soignant-es.  Pour certain-es patient-es, un biais raciste que constitue le "syndrome méditerranéen" selon lequel les patient-es provenant du bassin méditerranéen auraient tendance à en rajouter (ce qui bien entendu est entièrement faux), est source de souffrance supplémentaire non traitée et de discrimination.

Les possibilités thérapeutiques médicamenteuses sont limitées pour une antalgie efficace. De plus, d’autres thérapeutiques non médicamenteuses peuvent être limitées à la prescription par les CETD Centre d’évaluation et traitement de la douleur. Ces centres sont, quant à eux, trop rares, ce qui rend les délais pour y consulter extrêmement longs. Les patient-es présentant des douleurs chroniques se retrouvent donc rapidement devant une impasse thérapeutique.

Au cours de nos études, cette thématique des douleurs est peu abordée entraînant bien trop souvent une insuffisance de traitement.

Il existe également une stigmatisation des patient-es qui vivent avec des douleurs chroniques. Ces patient-es sont souvent moins écouté-es, ou accusé-es de "simuler" ou d'aggraver leurs douleurs. Ces phénomènes sont d'autant plus importants pour les femmes.

Les personnes atteintes de douleurs chroniques font également face à la stigmatisation de certains soignant-es les considérant comme des « accros » aux médicaments.

 

Nos propositions pour améliorer la prise en charge des personnes atteintes de douleurs et en particulier douleurs chroniques

 

- Améliorer la formation des soignant-es concernant les différentes thérapeutiques aussi bien médicamenteuses que non médicamenteuses mais également sur les ressources disponibles et les moyens de les mettre en œuvre.

- Sensibiliser les soignant-es sur les fausses idées reçues concernant la douleur (risque addictif, syndrome méditerranéen, comportements toxicophobes etc) et mettre la prise en charge de la douleur bien plus au centre des prises en charge. Avoir mal représente un problème en soi et doit être traité avec les médicaments nécessaires sans minimisation de celle ci et ou de ses impacts.

- Augmenter de manière conséquente les projets et budgets de recherche dans le domaine de la douleur afin d'apporter des innovations thérapeutiques aux patient-es présentant des douleurs chroniques.

- Oeuvrer pour la création de plus de CETD, lutter contre l'idée que ces centres ne sont "pas rentables" et sensibiliser les soignant-es, administratif-ves et gouvernants à l'aspect primordial de la prise en charge de la douleur

- dans ces centres, importance de la prise en charge globale et des conséquences de ces douleurs : ne pas négliger les antalgiques classiques, mais aussi proposer de manière plus générale les techniques comme la rTMS ou la tDCS. Avoir plus de moyens pour recruter des psychologue/psychiatres specialise-es en douleur.

- Augmenter le nombre de postes de médecins de la douleur, par conséquent augmentation du nombre de places en DU/FST douleurs.

-Creer des urgences douleurs sur le modèle de celles existant pour les céphalées

- limiter les obstacles à l'obtention des antalgiques notamment de palier II et III, via une meilleure formation des pharmacien-nes, et via l'allongement des ordonnances pour les patient-es avec traitement au long cours.

- élargir la prescription de TENS à d'autres médecins (spécialistes ou généralistes) que les médecins de la douleur.

 

Interview du Dr Bailly, rhumatologue et médecin de la douleur.

Interview du Dr Bailly, rhumatologue et médecin de la douleur.

Nous vous présentons une interview que nous avons réalisé avec Dr Bailly rhumatologue et médecin de la douleur, à Paris concernant les douleurs chroniques.

 

Q1. Pour commencer, comment pourriez-vous décrire  succinctement la prise en charge de la douleur en France aujourd'hui ?

 

Bonjour, la prise en charge de la douleur en France est réalisée à plusieurs niveaux. Evidemment, il y a la formation initiale de tout médecin sur la prise en charge de la douleur. Il y a quelques années, la gestion de la douleur aiguë était principalement enseignée via l’utilisation des antalgiques. Actuellement, la formation est plus complète et illustre la prise en charge variable selon que l’on se trouve face à une douleur aiguë, chronique, neuropathique et évidemment selon le patient. De multiples possibilités existent également en formation continue. Le collège des enseignants de la douleur (https://www.college-douleur.org/ ), nouvellement créé, illustre ce renforcement de la formation.

 

Ensuite, pour certaines personnes présentant des douleurs réfractaires à une prise en charge de première et deuxième ligne, il existe des centres d’évaluation et de traitement de la douleur. Ce sont des structures labellisées par les ARS, dont la liste est disponible sur les sites des ARS, et pour lesquels la SFETD a réalisé une carte interactive pour trouver les coordonnées du centre le plus proche de son domicile (https://www.sfetd-douleur.org/structures-specialisees-pro/ )La limite principale reste les effectifs médicaux et paramédicaux limités de ces centres, ce qui implique des délais parfois longs.

 

Q2. Que pouvez-vous nous dire sur la coordination entre médecins généralistes, médecins spécialistes hors douleur et médecins de la douleur ? Et qu'en est-il avec les autres professionnels de santé ?

 

La coordination (et la coopération) est un vaste sujet et est très dépendante de chaque lieu. Il y a dans certains centres des réseaux ville hôpital qui permettent d’avoir une coordination entre des praticiens libéraux  (médecins, kinésithérapeute, psychologue et d’autres professionnels de santé) et de l’hôpital. Ces structures permettent des échanges notamment via des RCP réalisées régulièrement et permettent à des professionnels libéraux d’avoir des financements en partie via les ARS. Pour l’ile de France, il existe ce réseau : https://www.reseau-lcd.org/ qui est rattaché au centre de la douleur de Saint Antoine. Il propose des informations ainsi que par exemple des ressources de relaxation librement accessibles (ici : https://www.reseau-lcd.org/les-traitements-de-la-douleur/ )

 

Objectivement, la coordination se passe plus facilement avec les médecins de l’APHP depuis que nous avons tous accès aux comptes-rendus les uns des autres via le même logiciel métier. Je réalise des comptes rendus pour l’ensemble de mes consultations, et ils sont autant destinés aux patients (pour se souvenir de ce que j’ai dit ou fait) qu’aux collègues médecins ou paramédicaux qui prennent en charge le patient. Néanmoins, malgré quelques tentatives, les messageries de type MSSanté ne sont pas encore d’utilisation courante pour échanger entre professionnels.

 

Q3. Prescrivez-vous régulièrement de la kinésithérapie dans la prise en charge de la douleur ? Si oui dans quel cadre en particulier ? Avez-vous un réseau auprès de qui adresser vos patient-es en particulier ?

 

Je prescris très régulièrement de la kinésithérapie puisque la majorité des douleurs chroniques sont musculo-squelettiques, néanmoins il est en général nécessaire de faire plus qu’une prescription, il faut évaluer ce que le kinésithérapeute réalise en pratique. Certains kinésithérapeutes ne font que des techniques passives (chaleur, massage) alors que d’autres sont investis pour apprendre des mouvements ou techniques aux patients afin de les rendre autonomes. Le plus important est d’expliquer au patient ce qu’il doit attendre d’un kiné et ce qui n’est pas souhaitable. Ainsi la plupart arrivent à trouver des kinésithérapeutes utiles à leur prise en charge.

 

Q4. La prise en charge de la douleur aujourd'hui est assez critiquée par les patient-es : nombre de spécialistes qui la traitent peu ou mal, recours au CETD difficile, peu de traitements disponibles, impression qu'il y a peu de recherches sur le sujet. Une frustration des patient-es se ressent-elle sur ces sujets ?

 

Oui cette frustration est réelle et exprimée par de nombreux patients. Pour plusieurs raisons. Le douleur est souvent vue comme quelque chose de non urgent, d’un soin de « confort » alors que la qualité de vie des personnes qui ont des douleurs chroniques est très dégradée. Tout d’abord, certaines douleurs peuvent être guéries mais pour la plupart nous avons des moyens pour la diminuer mais pas la faire disparaitre. Or, l’attente des patients est souvent de « revenir comme avant », de « supprimer » le problème. Puisqu’il existe des antalgiques, il faudrait donner le bon médicament qui supprime le problème, or ce n’est pas toujours possible. Parfois j’illustre la douleur comme une cicatrice : une cicatrice existe même si le problème initial n’est plus présent, et il n’est pas possible de l’enlever entièrement.

 

La seconde critique fréquente est sur l’accès aux techniques non médicamenteuses : puisque les médicaments ne sont pas adaptés ou suffisants, il faut autre chose. Plusieurs techniques ont prouvé leur efficacité, par exemple l’hypnose, la relaxation, la méditation, l’activité physique. D’autres sont débattues ou sans fondement scientifique comme l’acupuncture, l’auriculothérapie ou la réflexologie plantaire. Or dans un centre de la douleur, il y a souvent une ou deux techniques disponibles mais jamais la totalité et les ressources sont limitées. Ces techniques existent souvent en ville, mais les patients ne peuvent souvent pas le payer.

 

Une autre critique est sur les délais de rendez-vous, à la fois pour les prises en charge initiales et pour les suivis. IL faut savoir que l’ARS nous demande de voir en moyenne un patient 2.4 fois par an, or certains aimeraient bien avoir des rendez-vous tous les mois, mais ce n’est en général pas possible. Le nombre de rendez-vous est également limité par le temps nécessaire pour chaque consultation. Dans la plupart des centres, le rendez-vous initial est de 60 minutes et le suivi de 30 minutes. Il est utile de faire une évaluation globale de la personne, de ses croyances, de son environnement professionnel et personnel pour bien prendre en charge des douleurs chroniques, mais cela prend du temps et donc limite le nombre de personnes que l’on peut voir. Lorsque l’on regarde le nombre d’équivalent temps plein de douleur en France, par rapport à la proportion de patients ayant des douleurs chroniques modérées à sévères, cela ferait une file active théorique de 21 000 patients par médecin. Evidemment ce n’est pas réaliste et le but des centres de la douleur n’est pas de prendre en charge l’ensemble des patients ayant une douleur chronique, seulement les cas les plus complexes.

 

Q5. Que pouvez-vous d'ailleurs nous dire sur la recherche dans la douleur ? Avez-vous de votre côté des objets de recherche de prédilection ?

 

Il y a des recherches sur la douleur assez nombreuses, et on connait maintenant bien mieux les mécanismes de la douleur. Par exemple, les voies neuronales impliquées dans les circuits de douleur ont été bien étudiées, et il a été mis en évidence que la plasticité neuronale pouvait être un facteur de douleurs chroniques. On parle de douleurs nociplastiques (en lien avec la plasticité neuronale). Cela est bien plus exact physiopathologiquement et bien moins stigmatisant que les anciennes douleurs « psychogènes ». Le site Retrain pain par exemple explique bien ces douleurs (https://www.retrainpain.org/francais ) Des avancées existent également dans les techniques invasives, par exemple la stimulation médullaire. Des médicaments prometteurs ont été évoqués (les anti NGF), mais pour l’instant en raison de certains effets secondaires, il est probable qu’ils ne puissent pas être disponibles prochainement. A titre personnel, je travaille beaucoup sur les lombalgies, les mécanismes de sensibilisation centrale ainsi que sur l’épidémiologie des douleurs chroniques.

 

Q6. Nous avons dans nos revendications la création d'urgences spécialisées pour la douleur. Que penseriez-vous de tels dispositifs?

 

Je comprends cette demande. J’imagine que la grande majorité des patients que je vois en consultation iraient dans ce type de structure, cela impliquerait d’avoir de nombreux professionnels de santé. De plus, une prise en charge en urgence serait-elle meilleure ? On pourrait arguer que diminuer le délai pourrait peut-être limiter le passage à la chronicité. A l’inverse, peut être que ce type de prise en charge impliquerait une prise en charge rapide, sans chercher à approfondir les réels problèmes (troubles psychologiques, croyances, vécu antérieur) et donc pourrait être contreproductif. De plus, puisque la majorité des prises en charges pour la douleur chronique sont non médicamenteuses, il faudrait lui associer les moyens de proposer ces prises en charge au long court. Je n’ai pas de réponse définitive à ce sujet, et ce type d’organisation pourrait bénéficier d’expérimentations.

 

Q7.  Pensez-vous qu'il y a chez les soignant-es hors CETD une "peur" des antalgiques notamment les morphiniques avec une sous prescription du fait d'un potentiel risque addictif ?

 

Oui indiscutablement, il y a une peur accrue du risque addictif, compte tenu de la forte médiatisation de la crise des opioïdes prescrits ou illicites qui a lieu aux USA (70 000 décès en 2020) et au canada (6300 décès). Néanmoins, la situation en France est très différente avec des décès beaucoup moins importants que outre-atlantique, même si ils existent. C’est une bonne idée de ne pas prescrire de morphine à une personne ayant une fibromyalgie puisque la prise au très long court et la majoration des doses peut amener au phénomène de tolérance et de dépendance. Néanmoins, il ne faut pas arriver à la situation inverse, que l’on voit fréquemment, par exemple avec un patient ayant des douleurs sur des métastases qui n’a pas accès à une antalgie correcte.

 

Q8. Vous président, que feriez-vous pour améliorer la prise en charge de la douleur en France en 2022 ?

 

J’aurai certainement une action en trois étapes :

1/ Réaliser un réel portail d’information sur de nombreuses pathologies chroniques (pas uniquement la douleur), ou chacun pourrait trouver une information scientifique de qualité. Par exemple j’ai coordonné les recommandations de la HAS sur la lombalgie, et le document final est une bonne synthèse. Mais il n’est destiné qu’aux médecins. Il y a le site de AMELI, mais qui est loin d’être pratique et est peu médiatisé , il est difficile d’y retrouver ce que l’on souhaite.

 

2/ Je ferai une synthèse de l’ensemble des prises en charge non médicamenteuses en expliquant ce qui est scientifique ou ne l’est pas (preuve d’efficacité, rationnel). L’ordre des médecins n’a jamais réalisé cela, alors que l’ordre des kinésithérapeutes a réalisé un très bon document éclairant le concept de « thérapies illusoires » (https://www.ordremk.fr/je-suis-kinesitherapeute/techniques-illusoires/ ). Les patients pour l’instant sont souvent perdus dans les « médecins alternatives et complémentaires », comme l’illustrent les débats récents autour de certaines techniques.

 

3/ Je favoriserai le recours aux techniques non médicamenteuses avec une base scientifique sérieuse, avec un accès comme ce qui s’est mis en place récemment avec les psychologues. A l’inverse, j’interdirais aux médecins de réaliser des consultations remboursées utilisant des techniques dont de nombreuses preuves ont montré leur inefficacité.

Interview sur les douleurs chroniques, de Dr Manon, malade chronique

Interview sur les douleurs chroniques, de Dr Manon, malade chronique

 

Dr Manon, @manonpatiente, malade chronique et blogueuse sur le site http://www.alorscommentcava.com/

 

Q1. On sait le parcours de soins difficile pour les patient-es qui ont des douleurs chroniques. Les médecins, selon votre expérience, sont-ils suffisamment ouvert-es ou formé-es sur ces problématiques ?

 

D’après mon expérience, les médecins en général ne sont pas assez formés aux problématiques douleurs. Par exemple, je n’ai pas été “envoyée” au centre douleur, j’ai trouvé moi-même, en fouillant sur internet, l’existence de ces centres. Quand mes douleurs très intenses sont apparues, après avoir éliminé des causes aiguës, les médecins ont continué à me prescrire du paracétamol codéiné en me disant “bon si vous en avez besoin alors on continue”. On sentait bien qu’ils étaient embêtés de poursuivre ces prescriptions, qui d’ailleurs me soulageaient de manière très insuffisante. Je ne savais pas qu’il existait d’autres molécules. Aussi un jour, un clinicien m’a dit « le problème du centre douleur c’est qu’une fois que vous y entrez, vous êtes perdu pour la médecine, on ne cherche plus pourquoi vous avez mal ». C’est tout à fait faux. On peut parfaitement être soulagé/partiellement soulagé par le centre anti douleur, et continuer les investigations. Parfois la découverte de la cause permet d’arrêter le suivi au centre douleur, parfois les deux se complètent, notamment si la maladie se soigne mal et/ou qu’elle a une composante douleur forte.
 

 

Q2. Que pensez-vous des Centres d'Évaluation et de Traitement de la Douleur ainsi que des prises en charge qu'ils proposent ?


J’en ai connu personnellement 3. Je trouve qu’ils sont très bien, indispensables même. Mais ils manquent de moyens, notamment de médecins. Les délais de rendez-vous sont beaucoup trop longs, notamment à l’échelle de la douleur (c’est incroyable d’attendre 6 mois un rdv pour une douleur qui vous empêche de bouger par exemple). Ils manquent aussi de professionnels hors médecins. Des secrétaires pour envoyer des courriers, notamment les renouvellements des ordonnances sécurisées (oui cela semble « tout bête »), des psychologues et des psychiatres. Un seul centre parmi mes trois avait un psychiatre, que l’on pouvait voir une fois tous les 6 mois (il valait mieux ne pas aller trop mal donc). Néanmoins, ce psychiatre était essentiel, car il savait voir « la souffrance mentale » par le prisme de la douleur. Un psychiatre « normal » ne comprend pas en général que la douleur puisse « rendre fou ». Une fois, j’ai demandé à être suivie par une psychologue du centre. On m’a renvoyée vers « la ville », faute de moyens. C’est très problématique car justement « la ville » est souvent lucide sur le fait que les cas douloureux hospitaliers doivent être pris en charge par des psychologues habitués à travailler avec des maladies à impact lourd, donc des hospitaliers a priori. J’ai beaucoup aimé aussi l’existence de « psycho-sociologues » dans un centre, qui étaient en fait des esthéticiens. Les médecins algologues disaient « on a moins mal si on se sent beau », c’est assez vrai. Enfin, j’ai parfois été déroutée par des pratiques qui devraient être proposées au cas par cas et non imposées ni systématisées : la musicothérapie ou la sophrologie. En soi, je n’ai rien contre, voire même cela peut être très bien, mais il ne faut pas laisser ces pratiques seules se substituer aux médicaments. Ni avoir à entendre de la bouche du soignant « à partir de maintenant, vous n’avez plus mal ». C’est d’une part énervant et désespérant pour le malade, et cela relève objectivement du charlatanisme anti-déontologique.

 

Q3. Quelles sont les difficultés pour un-e patient-e ayant des douleurs chroniques à consulter un nouveau médecin ?


Je pense que c’est surtout une difficulté si on prend des traitements « forts » : on peut être vite perçu comme « douillet », ou « drogué », ou « fou ». Aussi, c’est difficile de comprendre qu’un problème « continue », est toujours là et parfois toujours aussi intense, qu’il n’y a pas vraiment de solution et que donc la douleur persiste. On entend parfois « il a fini par s’habituer à la douleur ». C’est faux on ne s’habitue jamais. En général, c’est plutôt que la douleur a diminué grâce aux différentes stratégies mises en place.
Un autre problème se pose pour les nouveaux diagnostics. On peut prendre l’exemple tout simple de la traumatologie « vous arrivez à marcher alors la hanche n’est pas cassée ». Si on est sous morphine en continu par exemple, les choses ne sont pas si simples.

A l’inverse, souvent les gens pensent que sous morphine en continu « on ne sent plus son corps », et que donc un nouveau problème douloureux n’a pas forcément besoin d’être traité. C’est faux.

Au final, devant chaque nouveau médecin, on a l’impression qu’il faut toujours agiter une sorte de drapeau « attention, ne réfléchissez pas comme d’habitude pour poser un diagnostic, car mes seuils de douleur sont abaissés par les traitements. Croyez mon ressenti et aidez-moi en conséquence s’il-vous-plaît ».

 

Q4. On parle souvent de la mauvaise gestion de la douleur dans les services d'urgence. Qu'en pensez-vous ? Seriez-vous favorable à la création d'urgences dédiées à la douleur comme cela existe déjà notamment pour les céphalées ?

 

Pour ma part, ma douleur a toujours été très bien prise en compte dans les services d’urgence. C’est-à-dire qu’on m’a presque toujours je pense, demandé si j’avais mal  La chose que je regrette est que - comme souvent - on administre au patient une molécule avant de lui demander son avis, avant d’avoir demandé s’il avait déjà bien/mal toléré cette molécule, avant d’avoir demandé s’il prenait un traitement au long cours contre la douleur (souvent aux urgences, les multiples interlocuteurs ne facilitent pas la transmission des informations). ). Aussi, administrer du Perfalgan ou du Spasfon à quelqu’un qui est sous morphinique en continu, n’est probablement pas très pertinent, voire complètement inutile. Encore une fois, il manque du temps de soin pour pouvoir échanger avec le patient, consulter son dossier, etc ; parfois on a l’impression que la solution Perfalgan c’est la facilité pour se dire que la douleur a été prise en compte.
Des urgences dédiées c’est toujours très bien, mais ce qu’il faut avant tout c’est une uniformisation de la prise en charge sur tout le territoire. Ce n’est pas acceptable de souffrir moins à Paris qu’à Pernay sous prétexte qu’on se trouve dans la capitale. Tous les médecins du territoire doivent être également formés à la douleur et aux multiples façons de la traiter, connaître les multiples molécules et protocoles disponibles.

 

Q5. Quels sont les impacts des restrictions de prescription à 28 jours ou des ordonnances non renouvelables dans la douleur ? Y a t-il un renoncement aux soins liés à ces mesures ou bien cela ajoute-t-il au fardeau d'une maladie chronique ?


Le problème des 28 jours est une catastrophe. Il faut placer des notes dans son agenda, prévoir les rendez-vous médicaux à l’avance en conséquence (alors que c’est dommage d’utiliser du temps médical pour des raisons administratives), se rendre à la pharmacie à des dates précises (ce qui n’est pas toujours possible selon son état). Ce n’est pas possible d’avoir une « petite réserve » en cas de rupture du fournisseur. Et franchement, dans le cadre de la douleur chronique, cela n’a aucun sens. On n’arrête pas d’avoir mal après 28 jours. Cela me fait penser aux décisions de la MDPH valables 2 ans alors que la maladie est incurable. Au final, pour moi et mes médecins, cela rajoute un réel fardeau. Je ne renonce pas aux soins car j’ai trop mal et que j’ai des aidants, une pharmacie proche, mais je peux tout à fait imaginer une situation de renoncement aux soins malgré soi et donc potentiellement une catastrophe clinique si la douleur s’envole chez un patient isolé, sans solution de soulagement.

 

Q6. Avez-vous l'impression qu'il y a suffisamment de recherche sur les problématiques liées à la douleur? Avez-vous l'impression de façon plus générale que la question de la douleur est assez importante dans le système de santé ?


Non pas du tout. On est depuis des années sur le système des morphiniques globalement, et c’est tout. Il faudrait vraiment beaucoup plus de moyens pour la recherche (comme d’habitude…). Et il faudrait aussi que l’on s’intéresse beaucoup plus aux publications du domaine car il y en a quand même. Par exemple, on pense bien trop peu aux anti-NMDA ou aux solutions en préparation magistrale de type crème. Ce ne sont vraiment que deux exemples.
Sinon je trouve que globalement, dans le système de santé, la question de la douleur est assez bien rentrée dans les mœurs. C’est-à-dire qu’on nous demande souvent « vous avez mal ? » parfois au détriment d’autres préoccupations éventuellement plus importantes (c’est-à-dire qu’on peut avoir tendance à se dire que si on a demandé au patient s’il a mal, on a bien fait son travail, alors que le soin, y compris de la douleur, ne se limite pas à ça). 

 

Q7. Avez-vous l'impression que les soignant-es ont une crainte à la prescription d'antalgiques assez puissants pour obtenir l'antalgie du fait du risque addictif supposé de ceux-ci ? Si oui, est-ce que cette "crainte" vous paraît fréquente ?

 

Oh que OUI. Ce phénomène est absolument insupportable et même dangereux (ne pas traiter un douloureux peut mener « tout simplement » au suicide de ce dernier s’il souffre trop).
La diabétique n’est-il pas addict à l’insuline ?
L’insuffisant surrénalien n’est-il pas addict à l’hydrocortisone ?
Le malade de polyarthrite n’est-il pas addict à son anti-inflammatoire ?

De la même façon, le malade de la douleur a besoin du médicament qui correspond à son degré de souffrance. S’il est nécessaire que ce soit de la morphine, alors c’est comme ça un point c’est tout. Il faut naturellement rester vigilant à ce qu’on appelle la perte d’efficacité, qui entraîne souvent l’augmentation des doses et donc l’accoutumance. Pour lutter contre cela, on sait qu’il est pertinent et efficace de faire des rotations thérapeutiques. On peut parfois même revenir sur une molécule déjà prise par le passé. Aussi, le besoin d’augmentation des doses n’est pas du tout le cas chez tous. Enfin, pour les douleurs « semi-chroniques », c’est-à-dire qui durent longtemps mais qui finissent pas s’arrêter, on peut tout à fait mettre en place en système de décroissance progressive avec un accompagnement médical si besoin, comme c’est le cas par exemple de la cortisone ou de certains antiépileptiques comme la gabapentine.

 

Q8. Vous présidente, que feriez-vous pour améliorer la prise en charge de la douleur en France en 2022 ?

 

Je n’ai jamais été très bonne pour la politique mais je tente quelques propositions :

-des services douleur dans chaque centre hospitalier

-des délais de rdv dans ces services n’excédant pas 1 semaine

-des durées de rdv dans ces services d’au minimum 1h (potentiellement davantage la première fois, puis davantage une fois par an pour refaire un bilan général)
-des psychiatres et des psychologues dans ces services, formés et à disposition des patients afin que chaque personne qui en a besoin puisse se voir proposer un suivi

-des « médecines douces » pour ceux qui le souhaitent, mais encadrées, pour éviter les « dérives »

-la suppression des limites des ordonnances à 28 jours quand le traitement est établi depuis plusieurs mois et que le patient comprend les risques éventuels des surdosages (comme pour toute molécule)

-l’obligation pour le pharmacien d’avoir toujours 1 mois d’avance sur toutes les molécules antalgiques de sa patientèle afin d’anticiper toute rupture

-une campagne massive d’informations sur l’utilité des antalgiques en même temps que les campagnes déjà en action sur leur dangerosité

-un investissement majeur dans la recherche sur de nouvelles molécules antalgiques

-l’élargissement massif des AMM d’un grand nombre de molécules

-probablement bien d’autres choses auxquelles je ne pense pas…

 

Une 4ème année, en particulier dans les zones dites “sous-denses”, n'est pas souhaitable.

Une 4ème année, en particulier dans les zones dites “sous-denses”, n'est pas souhaitable.

 

I. Cet allongement du cursus nous paraît-il souhaitable pour les internes?

 

Non, cette mesure ne nous paraît pas souhaitable pour plusieurs raisons.

 

  1. Une promesse d’une meilleure formation qui ne nous convainc pas

 

Nous entendons souvent l’argument que cela améliorerait la formation, parfois sans préciser en quoi, ou en avançant la nécessité d’un temps d’apprentissage spécifique à la gestion du cabinet. Or, il ne faut probablement pas un an d’apprentissage pour cela. De plus, stage signifie apprentissage et donc encadrement. Or, la qualité de la formation donnée dans les stages ambulatoires est très difficile à quantifier et dépend du maître de stage. Sur ce critère, on ne peut dire si cela améliorera la formation ou pas.

De plus, selon les témoignages d'internes, l'expérience montre qu'une bonne partie des internes sont laissés seuls, en autonomie totale, non encadrés, voire même, sont poussés à voir un nombre de patient-es trop important pour un suivi et une formation correcte.

Par ailleurs, il sera probablement nécessaire, au vu du peu de terrains de stage, que le choix de stage se fasse sur la France entière. Les internes vont alors être, pour beaucoup, coupés de leur faculté de rattachement, donc des cours prodigués, ce qui signifie une perte dans la qualité de la formation.

 

  1. Quels impacts sur les internes?

 

Pour ce qui est des projets de vie, les internes arrivant en fin de cursus ont autour de 30 ans. Un âge où les questions du lieu d’habitation au long terme, voire de fonder une famille ont déjà commencé à trouver des réponses. Si, comme nous le craignons, le manque de maîtres de stages pousse à ce que les internes de 4ème année soient répartis en France entière, cela va créer une cassure dans ces projets.

Il y a donc un grand risque que ce soit une année loin de leur famille, modifiant les projets en vie, mais surtout ayant un impact majeur sur leur santé mentale. Or tout au long des études en médecine, la santé mentale des étudiants est désastreuse. Une enquête de 2021 sur la santé mentale des étudiants en médecine montrait que 75% des étudiant-es étaient atteints de troubles anxieux, 39% de symptômes dépressifs, 25% d'épisodes dépressifs caractérisés. Des chiffres en augmentation par rapport à 2017.

Les impacts sur les internes nous paraissent donc négatifs!

 

  1. Quid de l’attractivité du cursus?

 

La médecine générale est une spécialité qui a peiné à recruter autant qu’elle pouvait, puisque jusqu’à 2019 il n’y avait pas autant de recrutements que de places disponibles.

Et ce, probablement plus du fait d’un désintérêt de l'hôpital (renforcé par l’arrivée du COVID-19), ainsi que le fait d’avoir un internat plus court par rapport aux autres spécialités, plutôt que d’une amélioration de la formation en médecine générale elle-même.

À long terme, remplir toutes les places du cursus est primordial mais cela ne sera possible qu’en gardant une attractivité en comparaison des autres formations.

 

  1. Des étudiant-es ayant déjà entendu des promesses

 

Si cette 4ème année se concrétise, les premières promotions à en être atteintes seront aussi les promotions s’étant vu promettre des réformes sensées améliorer l’apprentissage, comme la R2C qui a promis un livre de cours unique et non contradictoire et un système de classification dans l’importance des connaissances. Livre qui ne verra jamais le jour, maintenant des contradictions dans nos cours, et des classifications qui se contredisent elles-mêmes et souvent dans le même livre de cours.

Ces étudiant-es ne verront cette réforme que comme quelque chose de similaire : des promesses qui n’ont aucune chance d’être tenues. Des étudiant-es qui vont se détourner de la filière de médecine générale.

 

  1. Les internes ne sont pas des variables d’ajustement

 

Nous voyons cette mesure, comme de nombreux syndicats d’étudiant-es, comme un moyen d’utiliser une main d'œuvre pas chère plus longtemps, d’utiliser les internes comme des travailleur-ses au service de l'État en oubliant ce qu’iels sont avant tout : des étudiant-es.

Si la volonté est réellement de mieux former les étudiant-es, il faut avant de lancer une proposition de loi montrer en quoi une 4ème année serait une plus value à la formation. Si un jour, il nous est montré un projet construit et cohérent de 4ème année, la discussion sera ouverte. En l’état, nous voyons cette 4ème année comme une manœuvre politique n’ayant pas pris le temps d’une réflexion suffisante, ni pris le temps de la construction avec les principaux intéressés.

 

 

II. Une 4ème année se réalisant en “zone sous dense

 

 

  1. Peut-elle améliorer l’offre de soin?

 

Elle ne le peut pas, et ce, sur plusieurs points. Tout d’abord, en ce qui concerne le suivi des patient-es.

En effet, l’idée étant de permettre à de nouveaux patient-es d’avoir accès à un médecin, et en particulier un médecin traitant, on pourrait observer une augmentation de la patientèle du maître de stage. Or, une grande partie de ses nouveaux patient-es ne seront probablement pas vus par lui-même mais par l’interne en “autonomie”. Ainsi, ces patients connus uniquement des internes devront rencontrer tous les 6 mois à un an un nouveau soignant, ce qui signifie devoir revenir sur son historique, recréer encore et encore une alliance thérapeutique, et donc, entraînant une rupture de suivi, sans que le maître de stage n’ait une vue d’ensemble. Nous risquons donc une rupture dans la continuité et la cohérence des soins. D’autant plus que des internes de 4ème année risquent d’être vus comme totalement autonomes, à la différence des internes 1ère et 2ème année.

Deuxièmement, il est nécessaire de trouver suffisamment de terrains de stage, puis de les pérenniser. En effet, si pour une quelconque raison le stage n’est plus proposé (départ à la retraite du maître, volonté de ne plus proposer son cabinet comme terrain de stage, autre raison annulant la convention avec la faculté…), nous nous retrouverions avec la patientèle excédentaire, ou la totalité dans le cas du départ à la retraite, qui serait de nouveau sans médecin.

S’il est possible de travailler sur la qualité du stage, nous ne pouvons rien faire face au départ à la retraite.

Et nous craignons qu’à terme, ces stages supplémentaires n’aient fait oublier la vraie raison du manque de médecins dans les zones sous-dotées, à savoir le manque d’attractivité des territoires, ce qui empêche ainsi d’y travailler pour y remédier.

 

  1. Les conditions pour la réalisation de ces stages ne sont pas remplies.

 

L'accueil des étudiant-es est quelque chose qui se réfléchit à l’avance pour les maîtres de stages, en particulier pour les internes de fin de cursus qui ont de besoin de matériel, dont notamment un cabinet où les internes seraient seuls pendant les consultations pour être réellement autonomes.

S’il faut augmenter les effectifs de maîtres de stages, tous-tes les praticien-nes ne sont pas capables aujourd’hui de fournir les besoins matériels suffisants pour accueillir les internes.

Il est illusoire de penser que l’on peut à la fois augmenter le nombre de terrains de stages pour répondre à l'arrivée des futures promotions avec un numérus clausus augmenté puis celles sans numérus clausus, et trouver encore d’autres terrains de stages pour une nouvelle année d’internat. En faisant cela, nous mettons à mal la formation des internes sur des années.

De plus, proposer en dernière année de s'intéresser aux zones en demandes de soignant-es est beaucoup trop tard : les projets de vie sont déjà très avancés à ce moment des études.

Il faut proposer des stages de qualité dès le 2ème cycle afin de créer un intérêt pour les étudiant-es plus tôt. Et ce, en prenant en compte les difficultés d’accès à ces zones.

 

  1. Quelles conditions d'accueil des internes?

 

Les facultés ont déjà des difficultés à trouver des terrains de stages pour les 2ème et 3ème cycles de médecine générale, puisqu’être maître de stage se fait sur la base du volontariat.

Pour renforcer les capacités d'accueil dans ces zones, il faut inciter les cabinets qui en sont capables à accueillir les étudiant-es. Et ce, en mobilisant les facultés qui doivent rechercher les maîtres de stages puis leur proposer un cadre pour les convaincre de rester. Mais aussi promouvoir à l’échelle des territoires (commune, département, région…) l'accueil des étudiant-es de 3ème et de 2ème cycle aux médecins, et particulièrement dans des zones sous-dotées. Ce d’autant que le nombre d’étudiant-es en médecine a, et va continuer d’augmenter.

Si une partie des nouveaux stages proposés sont dans des zones sous denses en soignant-es, non seulement ce ne sera pas de la coercition, mais en plus cela donnerait un contact aux étudiant-es avec certains territoires. Or il a été montré que le fait d’avoir exercé dans un territoire en tant qu’étudiant ou remplaçant est un facteur qui augmente les chances de s’y installer. Mais il faut cependant bien noter que cette augmentation a été étudiée avec des personnes choisissant d’aller dans ces territoires, et qu’un système où les étudiant-es se sentiraient forcées risque de créer de la réactance qui peut éloigner les nouveaux médecins plutôt que de les attirer.

Et comme dit plus haut, il va falloir d’une part trouver de nouveaux stages pour ces internes, mais il en faudra également pour pallier  l’augmentation du nombre d’étudiant-es due à la suppression du numérus clausus.

 

Conclusion

 

Nous sommes contre cette 4ème année dont l’idée est lancée sans la réflexion nécessaire. Qui se présente comme une amélioration de la formation sans justifier en quoi. Qui se pare de cette amélioration de la formation pour utiliser des étudiant-es comme des variables d’ajustements. Qui risque de fragiliser la filière de médecine générale. Qui risque de faire du mal aux internes. Et qui n’apporte même pas une offre de soin décente aux patient-es.

S’il est en effet nécessaire de proposer à toustes les patient-es des soins de qualité, ce n’est pas en imposant une année en “zones sous-dotées” que la solution sera trouvée. Il faut que des contacts non coercitifs soient créés entre de jeunes étudiant-es et ces territoires pour que l’envie de s’y installer soit pensée au plus tôt.

 

Pour rappel, vous pouvez retrouver nos propositions ici http://www.snjmg.org/blog/post/nos-10-mesures/1881 et concernant plus particulièrement les "déserts médicaux" http://www.snjmg.org/blog/post/deserts-medicaux-et-acces-aux-soins/1891