Lettre ouverte à Madame Najat VALLAUD-BELKACEM
Ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
Copies adressées à :
Monsieur Manuel VALLS, Premier Ministre,
Madame Marisol TOURAINE, Ministre des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des Femmes,
Madame Geneviève FIORASO, Secrétaire d’Etat à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche,
Mesdames et Messieurs les Présidents d’Universités,
Mesdames et Messieurs les Doyens des Facultés de Médecine.
Objet : Demande de modification des décrets frappant les « privés de thèse »
Madame la Ministre,
Votre nomination à la tête du ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche est de nature à susciter un espoir pour des dizaines de personnes qui souffrent depuis plus d’un an du mépris de l’administration et de l’impuissance apparente des politiques.
Je veux parler de jeunes médecins, qui ayant suivi tout le cursus théorique et pratique requis, sont empêchés par de nouveaux textes oublieux de leur cas et par une interprétation administrative trop rigoureuse de soutenir leur thèse, et donc d’exercer leur métier au service de la population.
Le Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG) a été choqué par l’absurdité de ce gâchis humain, particulièrement incompréhensible en ces temps où l'on déplore le manque de médecins, et a proposé son assistance aux personnes concernées.
Plus d’une vingtaine de dossiers circonstanciés, de témoignages souvent dramatiques, nous ont été adressés. Etant donné le caractère informel de ce recueil, il est probable que de nombreuses personnes concernées ne se sont pas signalées à nous. Les informations issues de certaines facultés semblent indiquer une prévalence bien plus élevée.
Ces jeunes médecins sont victimes de la rigueur des nouveaux articles du Code de l’Education :
- l’article R632-18 qui stipule que « nul ne peut poursuivre le troisième cycle des études médicales dès lors qu'il n'a pas validé ses semestres de formation dans un délai correspondant à deux fois la durée réglementaire de la maquette de formation suivie [soit six ans pour la Médecine Générale],
- l’article R632-22 qui précise que « la soutenance de cette thèse peut intervenir […], au plus tard, trois années après l'obtention du diplôme d'études spécialisées en France […]. »
Ces deux articles laissent entendre la possibilité de « dérogations dûment justifiées peuvent être accordées par le président de l'université sur proposition du directeur de l'UFR.»
Malheureusement dans la plupart des cas, ces demandes de dérogation ont été rejetées sans même un examen de la situation particulière de l’intéressé(e) suite à des instructions de la Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) dont nous avons copie et qui excluent définitivement et sans appel les anciens Résidents de toute possibilité dérogatoire.
Certes, lors de la réforme du 3ième cycle de Médecine Générale en 2004, des dispositions transitoires avaient été prévues pour les Résidents (ancien régime) qui fixaient 2012 comme date butoir pour soutenir leur thèse.
Le fait est que beaucoup des personnes concernées (ayant commencé leur cursus sous l’ancien régime) sont restées dans l’ignorance de ces dispositions qui constituaient une réelle nouveauté : auparavant prévalait une beaucoup plus grande tolérance quant au moment de la soutenance de la thèse.
L’examen des témoignages recueillis montre que ces personnes ont été soit éloignées de la finalisation de leur thèse par une activité professionnelle soutenue (remplaçants, FFI, souvent dans l’attente d’un poste d’assistant), soit confrontées à d’importantes difficultés personnelles ou familiales.
Le décret du 19 août 2013 a fait fi de l’existence de ces personnes et a supprimé toute référence aux Résidents sans prévoir une quelconque disposition réglementaire à leur sujet, les enfermant dans une impasse.
A moins que l’on ne lise l’article R632-22 de façon suffisamment souple pour inclure les Résidents dans les possibilités de dérogation ? Mais ce n’est pas l’interprétation de la DGESIP, qui s’en tient à la lettre des dispositions transitoires de l’article 57 du décret n°2004-67 du 16 janvier 2004, pourtant abrogé…
Cette attitude intransigeante est cruelle et inhumaine. En effet sans la finalisation de leur formation, perdant toutes les équivalences professionnelles soumises à leur condition d'étudiants en 3ème cycle des études médicales, sans indemnisation chômage malgré tout le travail passé à temps plein à l'hôpital en tant que résidents ou internes, ces personnes se retrouvent après une dizaine d’années d'études supérieures longues et difficiles sans aucun diplôme !
Madame la Ministre, si je m’adresse à vous, c’est que le SNJMG a déjà fait beaucoup de démarches, sans succès, pour tenter d’aider ces personnes.
Le SNJMG a en effet déjà contacté à plusieurs reprises le Secrétariat d’Etat en charge de l’Enseignement Supérieur et à la Recherche. Nous avions rencontré le 24 mars 2014 le Professeur LEVY, alors Conseiller Santé, qui avait été visiblement interpelé par le caractère tragique des situations humaines présentées. Il nous avait assuré qu’il allait saisir la DGESIP de ce problème et que nous recevrions une réponse écrite ; nous n’avons rien reçu. Au cours du mois d’avril, nous avons eu des contacts avec le Professeur MATILLON, lequel a sollicité la DGESIP à nouveau et obtenu par oral une fin de non-recevoir. Pour finir, le SNJMG a demandé par lettre recommandée avec accusé de réception à Mme PROFIT, Cheffe de la Mission des Formations de Santé à la DGESIP, de bien vouloir nous faire parvenir la doctrine argumentée de la DGESIP sur cette question ; malgré plusieurs relances téléphoniques, jamais nous n’avons reçu la moindre réponse.
Je vous avoue avoir été surpris dans cette affaire par la toute-puissance aveugle et sourde de l’Administration et par l’apparente démission du Politique.
J’ai eu l’honneur de demander au Premier Ministre l’annulation et l’abrogation des textes en cause le 18 juin dernier.
N’ayant reçu aucune réponse de sa part, le Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG) s’apprête à déposer un recours auprès du Conseil d’Etat.
Au nom de personnes actuellement en grande souffrance morale et souvent tombés dans la précarité matérielle, je vous prie, Madame la Ministre, de bien vouloir modifier les décrets responsables de cette impasse aussi tragique qu’absurde.
Avec mes respectueux hommages, je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de ma très haute considération.
Docteur Théo COMBES
Président du SNJMG