Après une sortie de confinement qui s’est globalement bien passée entre Mai et Juin 2020, des indicateurs épidémiologiques ont commencé à évoluer négativement entre Juillet et Aout. Cette dégradation touchait tous les indicateurs début Septembre, et elle n’a pas cessé de s’amplifier dans les 3 semaines suivantes.
En ce début d’Octobre, à un moment d’incertitude (la dégradation des indicateurs épidémiologiques continue de s'accélérer dans plusieurs endroits - surtout à Paris et aussi à Lyon et Lille - mais connait un ralentissement dans d'autres - Nice et Bordeaux par exemple), il est légitime de poser quelques questions sur la gestion sanitaire de la pandémie en France.
La première question concerne la cohérence.
Après avoir longtemps louvoyé sur les masques (d’abord sur leur utilité puis sur leurs indications), le gouvernement promeut désormais l’ensemble des mesures barrière.... à l'exception encore de l'aération des espaces clos...
Pourtant durant le mois de septembre, les différents responsables de l’Etat ont maintenu des comportements en désaccord avec les recommandations officielles. Ainsi, lors de sa conférence de presse, le préfet des Bouches du Rhône a-t-il retiré son masque pour annoncer… l’obligation du port du masque dans l’espace public à Aix-Marseille ! Ensuite, c’est le tout nouveau haut-commissaire au plan qui a accompagné sans masque le Premier Ministre en visite officielle. Il y a aussi l'ancien ministre de l'interieur et nouveau président du groupe La République En Marche à l'Assemblée Nationale ainsi que le président de l'Assemblée Nationale qui sont été surpris sans masque dans le palais Bourbon. Sans oublier le Président de la République qui manipule (incorrectement) son masque pour tousser… dans sa main (et non dans son coude) !
Mais celui qui a fait le plus fort n’est autre que le Premier Ministre : il fait des checks avec le poing pour saluer, il ne respecte pas les règles de prélèvement ni d’isolement quand il se retrouve cas contact à risque (hors foyer familial) et organise des réunions en lieux clos avec des personnes ne portant pas de masques. Il s’est même justifié de ne pas avoir téléchargé la très contestée, et contestable, application StopCovid, par le seul fait qu’il n’utilise pas le métro… Ça fait beaucoup pour une personne en charge le printemps dernier des procédures de déconfinement !
De plus, alors que les modalités de propagation du SARS CoV 2 commencent à être bien cernées depuis cet été, le premier ministre continue à dire que ce virus "n'est pas toujours là où on l'attend (...) il est imprévisible".
Après avoir tardé plusieurs mois, faute de tests, à suivre les recommandations de l’OMS, le gouvernement revendique également la stratégie devenue référence internationale : tester-tracer-isoler. Mais, comme s’il s’agissait de rattraper le temps perdu, le gouvernement a cassé l’organisation du système de soins en ouvrant cet été les possibilités de tests pour tous, sans indication ni priorisation. Résultat : la procédure s’est retrouvée complètement engorgée en Septembre avec des délais de rendez-vous et de résultats rendant inopérante toute tentative de traçage…
A propos de traçage, alors que tous les exemples étrangers étaient soit peu parlants soit carrément négatifs, le gouvernement a choisi de développer une application sur smartphone plutot que de renforcer les moyens humains des brigades de l'Assurance Maladie... et qui plus est avec une architecture la rendant non interconnectale avec les autres applications de l'Union Européenne...
Par ailleurs, le gouvernement affiche depuis longtemps sa volonté de protéger les personnes à risques. Mais, pourquoi alors avoir revu drastiquement à la baisse à compter du 1er septembre 2020 les situations de risque ? Beaucoup de patients ont été considérés comme sortis de tout risque particulier le 31 aout 2020 à minuit (ainsi que les personnes résidant avec ceux qui se voyait toujours reconnus à risque à partir de cette date) par le simple effet d’un texte réglementaire publié au Journal Officiel…
De même, alors que les preuves se multiplient pour dire que les enfants, même s’ils sont moins souvent et moins gravement touchés, sont de possibles vecteurs de la pandémie, que des pays voisins (Belgique, Espagne) imposent le port du masque en primaire et que les universités et établissements scolaires sont devenus en France les premiers lieux de cas groupés (« clusters »), le gouvernement allège le dispositif sanitaire dans les écoles et persiste à dire fin septembre 2020 que : "Les cantines scolaires restent ouvertes, ce n'est pas la même chose qu'un bar", « L’école n’est pas le nid du virus. On ne doit pas engourdir la société » (Jean Michel Blanquer), "Les clusters dans les écoles ne m'inquiètent pas" (Olivier Veran).
La deuxième question concerne l'anticipation.
Sur ce point, il faut commencer, là encore, par la question des masques. Sans revenir sur la pénurie initiale (qui relève d’un autre débat) ni sur son déni (nous y reviendrons dans la question suivante), il est légitime de s’interroger sur le retard des prises de décisions sur sa généralisation. Certes, le gouvernement avait bien commencé le déconfinement en imposant son utilisation dans les transports publics dès le premier jour, le 11 mai 2020. Mais il a fallu attendre le 14 juillet 2020, plus de 2 mois après et sous la pression de médecins, pour que le Président de la République annonce son obligation dans les lieux clos recevant du public… à compter du 1er aout 2020. Le coté ubuesque de ce délai d'application poussera le gouvernement à anticiper l’obligation au 20 juillet 2020, mais le calendrier des négociations employeurs-salariés n’organisera la systématisation du masque sur les lieux de travail qu’à compter du 1er septembre 2020 (sur la base d’un protocole dévoilé la veille au soir, entre 20 heures et 21 heures). Avec l’obligation du masque dans les collèges, lycées et établissements d’enseignement supérieur à l’occasion de la rentrée scolaire et universitaire, il aura donc fallu attendre près de 4 mois après la sortie du confinement pour obtenir la généralisation du masque dans la plupart des lieux à risque.
Apres les masques, les tests RT PCR : là encore, il y eu du retard à l'allumage et il a fallu attendre l'été pour que la France soit au niveau de l'Allemagne. Mais, il n'y a pas eu immédiatement de réflexion sur des tests alternatifs aux RT PCR. Résultat, il a fallu attendre fin septembre pour que s'esquissent des stratégies incluant les tests antigéniques et les tests salivaires, déjà utilisés dans d'autres pays européens.
De même, à propos de gestes barrière, l'aération des lieux clos est déjà intégré dans la stratégie de plusieurs pays (à l'exemple de l'Allemagne) mais elle n'est toujours pas évoquée par le gouvernement.
Sur la question de la prise en charge des arrêts du travail en lien avec la CoViD-19, le gouvernement d’Edouard Philippe avait défini dès le 1er février un dispositif spécial pour les « quatorzaines » mais sa mise en place s’est faite de façon chaotique et il a fallu attendre le 05 mars 2020 (une semaine après l’annonce du passage au stade 2 de l’épidémie en France) pour que soit précisé, sur la base « d’arrêts maladie », un cadre pratique… mais incomplet (il se complétera le 17 mars et le 10 avril). Finalement, la cohérence de la prise en charge des arrêts relatif à la CoVID (arrêts maladie pour les cas confirmés / télétravail ou dispositif d’activité partielle ou Autorisation Spéciale d'Absence pour les personnes à risque et les garde d’enfant) ne sera obtenue qu’avec le dispositif mis en place le 1er mai 2020. Et c’est alors que le pays pouvait se reposer sur ce cadre, certes encore critiquable mais assez complet et cohérent, pour faire face à un regain de la pandémie post confinement que le gouvernement, à la faveur des congés d’été, a décidé d’en diminuer l’envergure : exclusion des femmes en dernier trimestre de grossesse, diminution drastique de liste des personnes considérées à risques, suppression de la prise en charge des gardes d'enfants... Il aura fallu la multiplication des fermetures de classe et/ou d'établissements dans la première semaine de rentrée pour contraindre le 10 septembre 2020 le gouvernement à faire marche arrière sur les gardes d'enfants. Et ce n'est qu'hier, 5 octobre 2020, que la ministre de l'Enseignement Supérieur a demandé par circulaire aux chefs d'établissement situés en zone d'alerte renforcée et en zone d'alerte maximale d'instaurer une jauge pour tous les espaces d'accueil (espaces d'enseignement, espaces de restauration, bibliothèques universitaires) à 50 % au plus de leur capacité nominale...
A propos de rentrée, le conseil scientifique avait envisagé, en juin 2020, 4 scénarios possibles d’évolution de l’épidémie :
– l’épidémie sous contrôle, avec des clusters localisés et maîtrisés, nécessitant cependant un maintien des mesures de lutte contre la diffusion du virus ;
– une perte de contrôle des chaînes de contamination, donc de l’épidémie, à partir de clusters critiques : les mesures prises devraient être plus strictes, précoces et localisées, afin d’enrayer cette perte de contrôle ;
– une reprise progressive et à bas bruit, donc plus difficile à identifier (chaînes de contamination non identifiées et indicateurs dégradés) : un scénario qui exige des mesures strictes, à une échelle régionale si les indicateurs le permettent, avec l’activation rapide de plans de protection renforcée ;
– un scénario critique avec une perte de contrôle de l’épidémie, entraînant une alternative difficile : le retour à un confinement national généralisé afin de minimiser la mortalité directe, contre la priorisation d’autres objectifs collectifs, économiques et sociaux, mais qui s’accompagneraient d’une importante mortalité directe.
Quand en septembre, c'est le scénario 3 qui se dessine, le Pr Delfraissy annonce logiquement que le gouvernement va devoir annoncer des décisions difficiles mais c'est un discours pratiquement vidé de décisions (sinon le passage des quarantaines de 14 à 7 jours) que prononce le premier ministre le 11 septembre 2020. Finalement, au gré de la dégradation des indicateurs et de l'évolution des rapports entre gouvernement et collectivités territoriales, des mesures strictes sont mis en place, entre fin septembre et début octobre, dans les territoires les plus en tension.
C'est ainsi que près de 9 mois après l'arrivée du virus en France, le gouvernement en est toujours à réagir à des indicateurs dont certains sont révélateurs de situations remontant à plusieurs jours en arrière (ex : hospitalisation, entrées en réanimation).
La dernière déclaration en date de Jean Michel Blanquer ne laisse pas augurer un changement à court terme : "Dans les écoles, il n'y a pas de mesures supplémentaires envisagées"
Enfin, malgré le Ségur de la Santé en Juillet, il apparaît que l'hôpital n'est toujours pas en mesure d'affronter sans grosse difficulté la résurgence de la maladie et si le gouvernement à bien prolongé la prise en charge à 100% par l'Assurance Maladie des téléconsultations, l'arrêt de toute prise en charge des consultations téléphoniques ne trouve aucune justification tant que la pandémie n'a pas été jugulée.
La troisième question concerne la transparence.
Bien sûr, cette question est l'occasion de revenir sur le péché originel du gouvernement : le déni de la situation concernant les masques (mais aussi des equipements de protection individuels - EPI - puis des tests) entre l'hiver et le printemps dernier. Nous n'allons pas ici ré ouvrir un dossier bien étudié par différents médias, mais tant que le gouvernement et l'administration sanitaire persisteront à dire qu'il y a eu aucune faute ou erreur de commise, il est vain d'espérer une confiance de la population pour la suite de la gestion de l'épidémie.
Par ailleurs, si l'emballement de la pandémie début mars ne laissait pas d'autres choix que le recours au confinement généralisé, il est compréhensible que le gouvernement ait hésité sur la date et les modalités de la sortie de ce confinement. En revanche, il est incompréhensible que ni le gouvernement ni l'administration sanitaire n'ait communiqué sur la préparation de scénarios pour la rentrée de septembre... à moins, ce qui serait pire, qu'ils n'aient rien préparé du tout ! De même, comment expliquer les délais bien longs entre la remise des avis du conseil scientifique et leur médiatisation par le gouvernement et comment expliquer qu'il ait fallu attendre une décision du Président de la République le 28 septembre 2020 pour que le gouvernement médiatise les indicateurs épidémiologiques sur lequel il se base pour classer les différentes zones géographiques en fonction de la tension épidémiologique ? Et pourquoi cette médiatisation ne précise pas que les nouvelles couleurs de zones de tension epidémiologique ne correspondent pas à celles des cartes ayant accompagnées le déconfinement ?
Enfin, ni le ministère de la Santé ni le secrétariat d'Etat au Numérique n'assurent d'accès libre aux données chiffrées concernant l'application StopCovid. Et quand ils en donnent, elles sont toujours partielles.
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